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새로운 장시의 가능성(송재영)
-주근옥 시집 “바퀴 위에서”론
그러나 그들은 고향이 얼마나 먼지, 언제 도착하게 될지 아무도 모른다.
그러면서도 그들은 고향에 도착하리라는 희망을 포기하지 않으며, 그 의미를 다음과 같이 설명한다.
Pour la possibilité d’une nouvelle poésie épique
Jai-Yong SONG, traducteur de Sur les roues et Sur le pont de Gueune-Ok JOUH, a fait ses études de langue et littérature françaises à l’Université de Séoul et soutenu une thèse de doctorat à l’Université Paul Valéry Montpellier III. Ses travaux principaux portent sur les recherches de la critique littéraire française. Il a traduit également en coréen de nombreux ouvrages littéraires françaises, notamment de Hugo, Apollinaire, Breton, Maurois, etc. Il est professeur honoré à l’université de Chung-Nam.
1)
On connaît la fameuse théorie de Zénon d’Elée. D’après ce philosophe grec de l’antiquité, il n’y a rien qui puisse se mouvoir d’un point à un autre. Cette impossibilité de mouvement, il tenta de l’éprouver par une série de paradoxes dont le plus connu est celui de la flèche qui ne parvient jamais à son but. Ainsi, supposant l’espace et le temps divisibles à l’infini, ce philosophe nia le mouvement : la flèche est immobile dans chaque fraction du temps, donc Achille ne saurait atteindre la tortue. Si nous commençons ce petit article par la présentation d’une théorie sophistique comme celle-là, c’est qu’elle montre une sorte d’homogénéité comparative, semble-t-il, avec la poésie de Gueune-Ok Jouh dont nous allons parler ci-après.
2)
Sur les roues, poème épique dans un certain sens, raconte un événement absurde mettant en scène trois personnages qui voyagent par le train. Sa structure apparente, qui semble d’ailleurs très simple, dissimule si habilement des procédés allusifs variés qu’il n’est jamais facile d’en apercevoir le mystère poétique. C’est pour cela qu’une lecture rationnelle ou thématique ne peut nous amener au déchiffrement de ce mysticisme hermétique.
Bien que jusqu’à présent beaucoup de critiques littéraires aient prétendu appliquer de nouvelles méthodologies, chacun insistant sur sa propre originalité, on constate qu’ils n’ont pu, finalement, que revenir à la question centrale de la difficulté de traduction du poème. Nous ne proposons pas ici de critique herméneutique accompagnée de recherches savantes, mais tout simplement une compréhension sémantique au sens strict du terme. Quoi qu’on dise, la poésie n’existe pas isolée du sens sémique ou du moins sans contenu prosaïque. En parlant de Mallarmé, Jean-Louis Backès écrit : « Que peut-on écrire sur les poésies de Mallarmé, sinon un nouveau recueil d’exégèses ? » (Poésies de Mallarmé) Et effectivement l’exégèse, c’est-à-dire le commentaire prosaïque est indispensable pour tout poète, et naturellement pour tout critique. Bref, quelle que soit la méthode critique à laquelle on prétende, historico-critique, psycho-critique, socio-critique ou sémio-critique, on ne peut pas faire l’impasse sur le contenu dans la mesure où la poésie doit être comprise du moins au point de vue sémantique et syntaxique.
Il nous serait difficile de bien comprendre la structure fondamentale de Sur les roues sans faire l’interprétation du contenu de l’œuvre. D’abord il faut bien remarquer que ce poème contient une certaine forme narrative que le poète lui-même aime à appeler « poème dramatique» . Le contenu du poème peut se résumer d’une manière simple et concrète. Trois personnages : Mah-gah, Houh-gah et Gouh-gah, tous trois criminels de conscience, sont poursuivis par la police. Ils sont montés dans un train pour s’enfuir. Néanmoins ils commencent par l’affirmation qu’ils veulent et doivent aller dans leur pays natal. Chose curieuse, ils ne savent où leur pays se situe, ni savent quand ils y seront arrivés. Malgré tout, ils poursuivent leur voyage, tantôt se disputant l’un à l’autre, tantôt se réconciliant. Telle est la narration littéraire qui se développe sous forme dramatique tout au long de Sur les roues. Il semble ici préférable de ne pas expliquer plus en détail le contenu narratif de ce poème pour ne pas risquer la destruction totale de l’art poétique.
D’ailleurs la caractéristique la plus importante de l’œuvre résident dans le fait que sa description narrative ne revêt pas une forme cohérente, mais tout à fait décousue. Quelle est l’intention du poète ? Ne serait-ce pas de ce stade que nous devons partir pour enquêter sur l’arcane poétique de Gueun-ok Jouh ? Disons brièvement, s’il nous est permis de le dire, que son arcane poétique procède tout naturellement d’une variation de la description surréaliste. Autrement dit, dans Sur les roues, se dessine une transformation poétique de l’Inconscient accumulé depuis longtemps dans l’esprit du poète. On peut même dire que l’idée fondamentale et récurrente du poète est le sentiment d’une Perte du Soi, exilé de son identité véridique. Les trois personnages jouent bien, chacun à leur tour, le rôle de l’exilé. Leur rôle suggère peut-être, en un certain sens, un aspect fondamental de la condition humaine d’aujourd’hui. Certes ces personnages ne sont que des êtres fortuits, c’est-à-dire sans « valeur à priori » selon la parole fameuse de Sartre. C’est pourquoi ils sont obligés de vérifier leur identité d’origine. Le terme « pays natal » qui se répète à plusieurs reprises symbolise leur identité perdue.
Ils se sont assis dos à dos
« Où est donc notre pays natal ? »
« Ce n’est pas important ça »
« Notre âme réside toujours dans le pays natal
Nous voulons y aller pour attraper ça »
Mais ils ignorent à quelle distance leur pays natal se trouve. Ils ne savent pas non plus à quelle heure ils y arriveront. Néanmoins ils ne perdent jamais l’espoir de pouvoir l’atteindre.
On est arrivé à la gare-baraque
On arrivera bientôt au pays natal
Enfin nous reviendrons à nous-mêmes
Ici le sens caché du terme « pays natal » s’explique clairement. Ce n’est que le synonyme, répétons-le, de « l’identité ».
Il est utile ici, pour mieux éclairer le thème poétique de Sur les Roues, de se rappeler la théorie sophiste de Zénon que nous avons présenté au début de cet article. Car le train décrit dans cette œuvre est analogue à la flèche d’Achille. Ce train a beau rouler pour les amener à leur pays natal, ce sont seulement les roues qui roulent alors que le train lui même reste immobilisé sur le même point. Le discours poétique de Gueune-ok Jouh est fondé, sans doute possible, sur la méthode de description automatique du Surréalisme. Pour André Breton, « le Surréalisme est l’automatisme psychique pur par lequel on se propose d’exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ». Effectivement Gueune-ok Jouh cherche à rejeter très sournoisement toute préoccupation esthétique ou morale, et renonce parallèlement, de façon spontanée, à la moralité langagière dont on pourrait faire une norme exigée par l’écriture. On peut aller jusqu’à dire, en ce cas, que la moralité langagière n’existe même pas dans l’univers de l’inconscient. La production de la poésie est possible dans la mesure où le mécanisme automatique fonctionne ponctuellement. Et on peut remarquer la mise en œuvre de ce mécanisme automatique tout au long de l’œuvre du poète.
C’est facile
De couper la tête en un instant
On aurait dû arracher les prunelles
Pour que la douleur durât éternellement
On aurait dû couper les doigts aussi
« Je suis tué ligoté par une corde
Je suis tombé terriblement ensanglanté »
Il s’approche et dit que c’était un rêve
Houh-gah lui aussi s’exclame
Que tu es idiot ! C’est vraiment un rêve
La brutalité animale et la férocité offensive s’expriment très souvent, comme on le voit dans les vers ci-dessus, dans l’univers de l’Inconscient. Car tous les phénomènes dissimulés au nom de la moralité humaine se dévoilent de plus en plus clairement à son approche. Et cette brutalité offensive n’est pas sans rappeler celle des Chants de Maldoror. On peut dire qu’elles se ressemblent, en ce sens qu’elles présentent toutes deux des caractéristiques fantastiques et burlesques à la fois. Gueune-ok Jouh aime à décrire, d’une méthode presque directe, le jaillissement de l’Inconscient sur l’étendue apparente, tandis que Lautréamont introduit dans son œuvre un certain nombre d’images animales pour symboliser le monde psychique.
Ainsi la structure interne de Sur les roues est formée de manière analogue au thème de « la flèche d’Achille » , sa description surréaliste se développant, quant à elle, autour du monde de l’Inconscient. Le poète lui-même prétend que Sur les roues est un poème dramatique, et pour cela il n’oublie pas d’y insérer de place en place des situations propres à organiser la dramaturgie. Mais, à vrai dire, ce n’est pas important. Ce qui est important, c’est qu’il supprime toutes les ponctuations nécessaires, du point de vue grammatical, pour donner l’impression d’un déroulement fluide du courant imaginaire de l’univers psychique. Il faut remarquer encore que le poète cherche à créer l’esthétique poétique, essentiellement par l’emploi de rythmes caractéristiques : soit par la distribution alternative de l’allitération, soit par la répétition régulière des rimes plates. Tout cela contribue naturellement à produire un effet musical qui se trouve en général très peu présent dans les poésies narratives de ce genre.
On a donc de bonnes raisons de penser que Sur les roues est un chant d’exilés qui tentent sans cesse de s’évader d’une situation bloquée pour trouver leur pays natal, qui représente l’identité perdue. Les roues ont beau rouler ; en fait elles n’avancent pas, et ils n’arriveront donc jamais à destination, c’est-à-dire au pays natal. Seul le souffle de la locomotive s’amplifie, et cela pour marquer aussi la voix de l’inconscient se heurtant à la vie matérielle. Voilà bien un des thèmes surréalistes.
3)
Dès la première lecture, on peut reconnaître dans Sur le Pont une poésie satirique où se développe, par l’application d’un procédé cyniquement fabuleuse, le thème de la vie tragique ou plutôt de l’absurdité de la vie. Le pont représente dans notre pensée, en général, un endroit de rencontre et séparation. L’œuvre raconte l’histoire de l’Homme 1 et de l’Homme 2. Au commencement, on voit l’Homme 2 « qui s’approche/ En baragouinant/ Et s’affaisse tout d’un coup ». Donc, le pont dans Sur le pont est un lieu d’attente. Mais l’attente est vaine, car celle qu’on attend n’arrivera jamais. Dans ce sens, cette œuvre nous fait penser à En attendant Godot de Samuel Beckett. Les deux personnages, l’Homme 1 et l’Homme 2 ont une expérience commune très étrange, celle d’une liaison sexuelle avec la même femme. La femme, anonyme, qui a jadis quitté l’Homme 1, sans aucune conscience morale pour aimer l’Homme 2, joue un rôle assez important mais invisible. L’histoire peut se résume ainsi : l’Homme 1 arrive sur le pont avec une valise dans laquelle est cachée la tête coupée de la femme qui l’a trahi. Il va certainement jeter cette tête dans la rivière, et c’est juste à ce moment-là que l’Homme 2 arrive pour attendre sa maîtresse. On peut ici bien imaginer la situation contradictoire des deux Hommes, ou plutôt l’itinéraire de leur vie absurde. En tout cas, l’Homme 1 donne sa valise à l’Homme 2, sachant que celui-ci attend impatiemment cette femme. Mais qu’est-ce qui arrive ? L’Homme 2 se recule, frappé d’effroi à la vue de la tête coupé de celle qu’il attendait.
Il ouvre la valise soigneusement
Et pousse un cri de surprise
En tressaillant de peur
Il devient presque cadavre
Comment faire moi ?
Ce salaud m’a laissé la tête coupée d’une femme!
L’œuvre finit ainsi. Et cette fin révèle sa signification poétique. On a même toutes les raisons de penser que Sur le pont constitue à certains égards une parodie de la vision fataliste de la tragédie grecque. Et d’autre part, il est certain que l’œuvre a caricaturé le non-sens de la vie à travers des événements extraordinaires.
Sur le pont nous montre, par le truchement de la forme théâtrale, l’opposition absurde entre le désir sensuel et le péché originel, ainsi que la solitude primordiale de l’homme. Les passions vulgaires, la férocité brutale, l’attente désespérée, tous ces éléments dramatiques contribuent, sans nul doute, à élargir l’effet poétique autant que possible. De ce point de vue, il est indéniable que Sur le pont est plus voisin du théâtre que de la poésie. A notre avis, ce n’est pas une œuvre si difficile à mettre en scène. Il semble que les pièces de l’anti-théâtre, par exemple, soient beaucoup plus inadéquates pour la représentation scénique que l’œuvre de Gueune-ok Jouh. Mais là ce n’est pas l’essentiel. Ce qui importe, c’est qu’il faut bien remarquer dans Sur le pont, répétons-le, la vanité et la cruauté humaines ainsi que l’absurdité et l’insignifiance de la condition humaine.
Derrière la structure schématique de cette œuvre, se dessine en filigrane, tout un monde poétique : un réverbère sur le pont, la rencontre hasardeuse des deux hommes, la valise de l’Homme 1, le courant silencieux de la rivière sous le pont, tout cela nous permet d’imaginer ou de créer un univers proprement poétique. Grâce à ce charme imaginaire, Sur le pont ne perd point la beauté littéraire, malgré de nombreuses descriptions brutes, si on peut dire, qui s’abaissent souvent jusqu’à la scatologie. Ainsi les vers ci-dessous donnent la mesure de la brutalité animale ou plutôt langagière :
Mon père était boucher de viande canine
Notre arrière-cour était un lieu d’exécution
Mon père tirait férocement des chiens
Par la corde attachée au cou
Pauvres chiens qui chiaient sous eux !
Pauvres chiens qui se débattaient sans force
Leurs yeux pleins de malédiction
Leurs langues pendantes hors de la gueule
On ne doit pas passer sur ces vers, car la cruauté professionnelle du père de l’Homme 1 contient préalablement le thème symbolique que le poème dans son entier mettra en scène. Cela revient à dire que la description détaillée de l’acte cruelle du père, en tant que boucher, fait déjà allusion au meurtre féroce du fils, fruit d’une hérédité sanguinaire, qui se produira à l’avenir. En d’autres termes, aux techniques de la description et de l’expression qui nous révèlent la décapitation d’une femme infidèle, Gueune-ok Jouh oppose une technique de la suggestion et de l’évocation qui sera l’instrument majeur de la poésie moderne. Dans cette poésie, la juxtaposition d’éléments disparates oblige le lecteur à penser des rapports nouveaux de relations, à toucher une vérité insoupçonnée jusqu’alors. Aussi, il semble qu’il faille y voir un procédé bien forgé par lequel le poète reflète l’univers intérieur mieux que par d’autres moyens.
Gueune-ok Jouh ne tente point de trouver des mots poétiques distingués et raffinés. On voit, dans son œuvre, des expressions vulgaires de la vie quotidienne au lieu de vers bien forgés du point de vue rhétorique. Il apprécie l’effet intégral plus valable que la qualité langagière pour la création de l’esthétique poétique. C’est ainsi qu’il s’efforce, sous forme théâtrale, de rendre possible une nouvelle poésie épique. Son œuvre poétique mériterait, avec toute autre dénomination, celle d’épopée surréaliste(non-épique héroïque du surréalisme profonde, ou le minimalisme et l’OuLiPo). Et cette épopée, venant d’un homme qui a une profonde connaissance de l’esprit humain, peut nous toucher, à l’égal de l’épopée mythique et historique,. Il nous reste donc à attendre pour voir comment se développera la nouvelle poésie épique de Gueune-ok Jouh .
*
Jai-Yong SONG, traducteur de Sur les roues et Sur le pont de Gueune-Ok JOUH, a fait ses études de langue et littérature françaises à l’Université de Séoul et soutenu une thèse de doctorat à l’Université Paul Valéry Montpellier III. Ses travaux principaux portent sur les recherches de la critique littéraire française. Il a traduit également en coréen de nombreux ouvrages littéraires françaises, notamment de Hugo, Apollinaire, Breton, Maurois, etc. Il est professeur honoré à l’université de Chung-Nam.
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